03 Apr

Tranche de vie IV

Publié par BERis  - Catégories :  #Air des temps

 

jeudi 7 et vendredi 8 mars

 

>> Les barbiers sont des types fantastiques. L'outil qu'ils manipulent les investit d'un tel pouvoir, lorsqu'ils me passent sur la gorge, qu'ils ont développé une douceur extrême mêlée de précision. S'ils s'en donnent à cœur joie au blaireau, enfournant avec vigueur de la mousse jusque dans mes narines, ils tendent ma peau avec souplesse, tendresse dirais-je, afin de la rendre accessible au rasoir. Leur masculinité brute reprend le dessus une fois le danger passé et c'est sans ménagement qu'ils poudrent et pulvérisent leur eau de Cologne à quatre sous. J'en ressors tout remonté et fin prêt pour la journée. Tonique !!

Après un énième cyprus coffee medium, je m'engouffre dans l'épicerie et constitue mon stock de ces riens qui permettent à la vie de se jouer et je chevauche ZHEX 733 en direction de Akamas.

A Laki le vent empêche les rougets de sécher au soleil.

La région d'Androlikou, ancien village turc, ruisselle de vallons humides où les chèvres disputent l'espace aux vergers d'oliviers. On amène ici les touristes avec guides et tout et tout dans de rutilants 4X4, britisch of course. Ambiance safari garantie. Peut-être ces oiseaux-là s'imaginent-ils au Kenya. Une chose paraît sûre, il n'y a pas d'étranger autonome ici. Il faut dire que sorti des axes, je retourne dans un monde qui défie le temps. Quelques maisons basses, de terre, comme les chemins qui y amènent, forment un village.

J'interroge encore ce pays pour y puiser une compréhension possible. Comment passe-t-on d'un monde à l'autre en dix kilomètres ? Passées les frontières de la ville, la campagne est plus que profonde : ancestrale. C'est littéralement un autre monde et les deux s'ignorent, disent certains chypriotes. Le berger d'ici me dit qu'il n'est jamais allé à Polis. A ses yeux, je dois passer pour un extra-terrestre, de « hors de sa terre »…

 

<< Des pierres dressées, je pousse au sud, vers la riviera british, du côté de la mythique Ile de Wight. J'y trouve des températures plus clémentes, un soleil plus stable et des restes de festivals. En bref, je suis sur le retour. Un mal du pays me tenaille l'estomac et pourtant je n'imagine pas une seconde un quelconque raccourci spatio-temporel vers chez moi. Je stagne quelques jours ici, profitant de l'ambiance balnéaire. Ce n'est pas Palavas les flots. La Manche n'est pas la Grande bleue tout de même, mais l'air y est calme et l'arrêt sur plage fait office de hollydays. Le pouce levé est un vrai boulot. De ne plus y penser me repose l'esprit.

Cette parenthèse me permet de garder contact avec moi-même en laissant un peu de côté le contact forcé avec les autres.

 

>> ZHEX733 me tire par des campagnes sinistrées. Si Androlikou a été partiellement abandonné depuis la difficile cohabitation de la décennie 60, puis totalement dès l'invasion turque du nord de l'île, d'autres villages ont subi le même sort. Je traverse Fasli sur la montagne, occupé par un unique éleveur. Ce village est en ruine. Mais de là, dans le vent et le soleil qui dessèchent la terre, le regard plonge vers la côte ouest, vers la sauvagerie de Akamas. La piste accessible que par temps sec ne convient surtout pas aux scooters. La descente pénible s'insinue tortueusement entre poussière et maquis jusque vers Lara. Je ne croise plus personne sur ce versant. Tout en bas, près de la plage aux tortues, la large piste du bord de mer pulvérise sa poussière parmi un maquis étouffant sous une chape de lumière. Je file au nord, vers le bout de la piste.

Même les oiseaux se taisent à midi. La sieste imposée laisse toute la place au vent qui se faufile dans les broussailles. Excepté ce vent, on n'entend que le silence qui siffle aux oreilles, entrecoupé de quelques discrètes vaguelettes qui s'échouent sur le sable.

Ce silence fait du bien. Il prépare l'esprit à la réflexion dans un vide prégnant. Réflexion sur le vide justement, et sur la perte, toujours. On se perd immédiatement dans le silence, dans le vide des autres et de soi-même. On n'est plus sous le soleil que quelque poussière de sable cuit par la lumière. Koudoumas, Tsioni, sont des places égarées loin des passages. Les fouler, c'est pousser une porte de l'éternité.

Tous les ermites ont cherché cette forme de solitude, un repos de l'esprit, afin de pénétrer son propre esprit, de disloquer l'ego, à simplifier les interactions avec le monde.On trouve ici un de ces ermitages qui fut occupé des décénie durant par des chercheurs de sérénité. Il en reste une trace sur la pierre et une ambiance de reccueillement propice à ma quête.

 

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